Ces histoires d'archives volées ne datent pas d'hier. Dans son numéro de juin, le magazine du ministère de la Culture et de la Communication consacre une double page au destin d'une pièce médiévale de 900 ans (télécharger le n°171 ici en fichier PDF). Disparue durant deux siècles, elle a finalement rejoint le 23 mars dernier les collections de la Bibliothèque Nationale, après un passage en salle des ventes. L'article raconte avec force détails l'histoire de ce manuscrit de 200 pages doté de nombreuses enluminures, produit par un moine copiste de l'abbaye de Cluny en Bourgogne entre les années 1075 et 1100. A la Révolution en 1798, l'abbaye est vendue pour servir de carrière de pierres, ses archives sont brûlées et la bibliothèque inestimable des moines bénédictins est saccagée. Avec les autres manuscrits, le traité de l'organisation monastique De Institutis coenobiorum, recopié d'après un texte du Ve siècle du moine Jean Cassien, est confié au collège de la ville, puis disparaît. Tout au long du XIXe siècle, la BNF rachète ce qu'elle peut sur le marché. Un maigre extrait de 4 pages se trouve en la possession de la bibliothèque municipale de Mâcon. Mais le texte principal est introuvable.
C'était sans compter sur la sagacité d'un ancien conservateur général au département des manuscrits de la BNF qui repère en avril 2008 dans un catalogue de l'Hôtel Drouot une pièce présentée comme datant du XIIe siècle et sans origine géographique. Mise à prix : entre 4.000 et 6.000 €.
Après une rapide enquête sur les bases de données du ministère de la Culture, notamment la base enluminures et le catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques, notre spécialiste acquiert la conviction qu'il s'agit du fameux manuscrit. Ensuite, l'histoire ressemble à un roman, mais tout est vrai : il est trop tard pour que l'État fasse jouer son droit de préemption. Le jour de l'enchère, le manuscrit est vendu à un mystérieux acheteur par téléphone pour la somme de 53.000 €. Puis le manuscrit réapparaît 4 mois plus tard à la Biennale des Antiquaires, proposé sur le stand d'un célèbre libraire allemand au prix d'ami de 180.000 €. Celui-ci était bien l'acheteur -de bonne foi- par téléphone à Drouot. Après la manifestation, il demande à la BNF un certificat de libre circulation, permettant au manuscrit d'être vendu hors de France. Accessoirement, ce certificat pourrait permettre de le négocier aux Etats-Unis ou à Londres en révélant sa véritable origine clunisienne, ce qui pourrait faire passer son prix au dessus du million d'euros... Finalement, le ministère choisit de négocier directement avec le vendeur, le manuscrit relevant de la propriété publique. Il est inaliénable, même s'il a été soustrait aux regards depuis déjà 211 ans... Résultat, l'État a dû rembourser les 53.000 euros et quelques frais annexes pour retrouver son bien.
Je ne vois pas en quoi le manuscrit en question, soustrait révolutionnairement à une bibliothèque monastique, a été "restitué" à une institution qui n'existait pas lors du pillage. Je ne comprends donc pas pourquoi l'objet acquis par l'Administration était déjà "son bien" avant qu'elle ne se l'approprie.
Rédigé par : Pirée | 05 juillet 2009 à 20:26