Bien sûr, l'archiviste a toujours le souci de collecter, classer, restaurer, conserver, et communiquer les documents anciens (comme l'illustre à merveille l'exposition virtuelle des Archives municipales du Havre). Mais il doit aussi savoir jongler au quotidien avec les données juridiques pour, par exemple, s'adapter aux délais de communicabilité en vigueur depuis deux ans (une vraie gymnastique !), protéger les archives numérisées ou en gérer les licences de réutilisation, assurer un accès à Internet conforme à la loi et aux attentes des lecteurs... Les blogs des archivistes et documentalistes (qui partagent le même défi) témoignent régulièrement de ces nouvelles problématiques. L'occasion pour nous de faire une revue de blogs.
Commençons par S.I.Lex, le blog de Lionel Maurel, véritable référence sur ces questions techniques. Dans une récente note (bien argumentée comme à son habitude), ce conservateur de la BnF s'intéresse aux modalités d'accès à Internet dans les bibliothèques et, par extension, dans les services d'archives et d'information. Que dit-il ?
Donner accès à Internet constitue aujourd’hui pour les services d’archives, de bibliothèques et de documentation un aspect essentiel de leurs missions ; mais leur responsabilité est susceptible, à divers degrés, d’être engagée du fait d’agissements délictueux qui seraient commis à partir de ces connexions par leurs usagers. [...] Il n’est nullement exigé, ni de recueillir l’identité des personnes qui accèdent à Internet, ni de mettre en place a priori des moyens de sécurisation des connexions tels que des systèmes de filtrage.
Dans des notes plus anciennes, ils s'attardent sur une autre question épineuse : la propriété intellectuelle. Un souci que partage Pascale Verdier : la directrice des Archives du Bas-Rhin a choisi de marquer ses images numérisées (consultables en salle de lecture) d'un bandeau "Archives du Bas-Rhin". "Sa présence à l'écran était la seule mesure permettant de maintenir les facilités de prise de vue (photographie numérique) offertes aux lecteurs, tout en préservant les droits du département, justifie l'intéressée. Si les Archives départementales sont dépositaires des documents originaux, le département est en effet bien propriétaire des images (l'ensemble du projet de numérisation a coûté près de 1 million d'euros)". Les généalogistes ont signifié leur désapprobation, relayée par Geneablog :
Ce bandeau s'étire en diagonale à travers tout l'écran. Il fait environ 2 cm de large, le texte écrit en gris clair fait à peu près 1,5 cm. D'après les commentaires des premiers utilisateurs ce serait gênant pour déchiffrer les actes, et fatigant pour les yeux en renforçant les difficultés de lecture des documents.
Remarques enregistrées. Pascale Verdier a opéré une série de modifications pour améliorer le confort de lecture : "réduction significative de sa taille, suppression du halo blanchâtre qui l'entourait, atténuation importante de sa teinte. Les impressions d'actes bénéficient des mêmes modifications." Un dossier géré en bonne intelligence.
En attendant la mise en ligne de ces données programmée "courant 2011". Ce service d'archives pourra alors intégrer le palmarès des numérisations et mises en ligne, établi par la Tribune des Archives. Grands vainqueurs : l'Hérault, avec ses 7,5 millions d'images, et les Alpes-Maritimes pour la variété de ses fonds : "les classiques (état civil, cadastre et plans, conscription, enregistrement, presse, iconographie), la bibliothèque (bibliothèque numérique, annuaires et leur revue historique Recherches régionales) et quelques nouveautés inaugurées discrètement de décembre à mars (les hypothèques, les notaires et les archives privées ainsi que des tentatives sonores en extraits)."
Bonjour,
pour répondre au dernier message (Aliette) : la mise en ligne d'images des informations publiques, et ce même si la photographie est produite par vos soins, constitue une réutilisation. Pour toute réutilisation des informations publiques produites ou conservées par un service d'archives, vous devez vous rapprocher du service en question (archives départementales ou communales). C'est à ce dernier qu'il revient de déterminer les conditions de la réutilisation (article 11 de la loi du 17 juillet 1978). Celui-ci pourrait notamment exiger à être cité mais aussi l'insertion d'un lien vers son site internet.
La question du financement de la numérisation par des impôts ne donne aucun droit de propriété sur les informations. Si vous êtes propriétaire du fichier numérique, ce n'est pas le cas de l'information contenue dans ce fichier.
Enfin, je rejoins les propos de Pascale Verdier : les archivistes ont devant eux un énorme travail d'éducation des usagers sur cette question, ce message en fait partie. Devant les investissements énormes consentis pas les collectivités, il est normal que ces dernières exigent au minimum un droit de citation. C'est dans cet esprit que les AD du Pas-de-Calais ont également apposé un filigrane lors de l'impression et de l'enregistrement des images consultables sur notre site.
Rédigé par : Cyril Longin, chef du service des publics, AD du Pas-de-Calais | 06 avril 2010 à 16:19
Sans vouloir paraître agressive, je suis surprise de certains commentaires.
Les images numériques ont été payées avec l'argent de NOS impôts, et je ne vois donc pas pourquoi nous devrions subir des bandeaux ou filigranes.
Par ailleurs, quelqu'un aurait-il la gentillesse de m'indiquer si j'ai le droit de publier sur geneanet les documents (baptême mariages sépultures ou notaires) dont j'ai pris moi-même les photos aux archives ?
Ceci me permettrait entre autres de faire profiter les autres des contrats de mariage, testaments, etc, que les archives mettront bien longtemps à numériser !
Merci d'avance de votre réponse,
cordialement,
Aliette
Rédigé par : Aliette | 03 avril 2010 à 11:40
S.I.Lex nous a encore gratifié aujourd'hui d'un excellent article intitulé "Réflexion sur la fragilité juridique d'un filigrane".
http://scinfolex.wordpress.com/2010/03/31/reflexions-sur-la-fragilite-juridique-dun-filigrane/
A lire absolument pour continuer la réflexion.
Je remercie au passage Madame Verdier d'avoir pris la peine d'intervenir ici.
Rédigé par : Jordi78 | 31 mars 2010 à 22:08
Je voudrais répondre à la remarque très juste de Jordi78 : effectivement, la problématique est exactement la même pour les microfilms, mais ceux-ci datent d'une époque bien antérieure à la directive européenne et à sa transposition en droit français, qui date de 2005 !
Ces dernières années ont vu également naître de très nombreux progrès technologiques qui ont bouleversé le travail dans les salles de lectures : je pense aux appareils photographiques numériques notamment, arrivés massivement auprès du grand public relativement récemment (moins de 10 ans) et qui permettent la reproduction de données en très grand nombre, voire leur bascule sans difficulté - et souvent sans citation - sur Internet, y compris sur des sites d'accès payants.
A signaler aussi qu'on parlait à peine, il y a 15 ans, d'Internet dans le grand public ! Bref, le contexte technologique a très fortement évolué.
Enfin, je pense que les coûts très élevés de la numérisation ont généré une prise de conscience dans les collectivités qui en ont assumé la charge. Je voudrais rappeler que, lors de la réalisation des premiers microfilms, il était fréquent que ceux-ci soient produits par les Mormons, grâce à un partenariat avec l'Etat (qui était, avant la décentralisation, en charge des Archives départementales). Le microfilmage, dans bon nombre de départements, n'a donc quasiment rien coûté aux contribuables. Ce n'est pas le cas de la numérisation.
Car celle-ci a donc coûté fort cher, en temps et en argent, aux collectivités. Du coup, elles revendiquent leur propriété intellectuelle sur leur travail, et le droit à être citées.
Je pense, enfin, qu'il y a aussi une forme d'éducation à mener auprès du grand public pour ce qui est du respect du droit d'auteur, et de citation des sources.
Je ne doute pas qu'on y parviendra et, pour moi, le filigrane apposé sur les images participe à cette éducation.
Pour information également : les originaux sont également estampillés ! Cette estampille, apposée en pleine page (afin de ne pas être découpée) protège les documents en cas de vol : aucun marchand ne passe outre la présence d'une estampille, car il serait alors accusé de recel.
Rédigé par : Pascale Verdier, directrice des AD du Bas-Rhin | 31 mars 2010 à 17:08
Merci pour cet article qui résume très bien les interrogations actuelles des services d'archives vis-à-vis de l'utilisation d'internet.
L'interrogation de Pascale Verdier est compréhensible. Cependant, on peut se demander pourquoi les AD cherchent à protéger leurs droits sur les images numériques alors qu'elles ne l'ont pas fait pour les microfilms. Il me semble que la problématique est bien la même. Si le document original n'appartient à personne, l'image microfilmée est propriété des AD. Pourtant, là, pas de filigrane...
Le rapport à l'internet des services de documentation (archives, bibliothèques...) est encore loin d'être défini.
Rédigé par : Jordi78 | 31 mars 2010 à 09:13