C'est une scène assez étonnante qui s'est jouée dimanche 18 juillet dernier au château de Miromesnil en Normandie. Nous sommes dans l'agitation d'une vente aux enchères tout à fait classique. Les "adjugé, vendu" des commissaires-priseurs de Rouen se succèdent à un bon rythme. Vient à passer sous le marteau un registre des comptes de l'Epargne. Joliment relié dans son vélin, quelques amateurs se le disputent, mais on est loin d'une féroce bataille d'experts. Après quelques enchères, ce document des années 1620 est attribué au dernier enchérisseur. Soudain, au fond de la salle, se lève un représentant des Archives Nationales et fait entendre la voix de l'Etat : "Archives Nationales, préemption du ministère de la Culture !". Les conversations s'arrêtent net et chacun se demande ce que cache ce petit registre.
Il s'agit en fait d'une rareté, un double d'un registre de comptes de l'Epargne de l'année 1616, signé du trésorier de l'Epargne Thomas Morant. Même si ce n'est qu'une copie (de 1620 quand même) résumant un ensemble de quelques dizaines de registres, ce document reste exceptionnel. Pourquoi ? Parce que les registres de comptes de la Couronne ont été détruits sous la Révolution et que les Archives Nationales n'en possèdent que de rares épaves, aucun pour le règne de Henri IV, deux seulement pour celui de Louis XIII et deux pour Louis XIV. Il arrive très rarement que certains de ces comptes, transmis dans les familles, réapparaissent de nos jours. Autant dire qu'un seul registre de l'Epargne, caisse centrale de la Couronne, intéresse au plus haut point le Ministère de la Culture. Qui pour l'occasion a déboursé la somme de 43.000 euros...
Il s'agit d'une pièce essentielle pour les Archives nationales, tant sur le plan de la connaissance du règne de Louis XIII et de celle de l'état de la France à cette époque, que pour la compréhension du fonctionnement d'une institution royale, le Trésor, dont la quasi-totalité des archives a disparu. L'Epargne recevait les revenus du domaine royal et des impositions et contrôlait les recettes et les dépenses de toute l'administration royale. Au temps de Henri IV et Louis XIII, ces registres font notamment apparaître les noms de tous les acheteurs des offices royaux, grosse source de revenu de la Couronne. Très poétiquement, un ouvrage paru en 1687, « L'état de la France », définit l'Epargne ou Trésor Royal, comme « la mer, dans laquelle viennent se jeter les ruisseaux et les rivières, toutes les recettes, tant générales que particulières, tailles, taillons, subsistance et aussi tout le revenu du roi »...
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